Le rugby à contre-pieds (suite)

Lorsque j’étais petit, le rugby était un jeu amateur – quels que fussent les cadeaux que l’on pouvait recevoir – et j’ai donc assisté à la naissance du jeu à XIII. A cette époque, les deux superbes, immenses joueurs que furent Jean Gallia et Max Rouziers sont passés au Treize. Deux joueurs au talent prodigieux qui virent l’occasion de bien gagner leur vie. Nous pourrions discuter longtemps sur ce sujet et notamment de l’influence du football. Tout à l’heure, lors du déjeuner pris à La Dépêche du Midi, j’ai à nouveau été étonné par le fait qu’un joueur de l’Olympique de Marseille, Casoni, loin d’être une super vedette gagnait par an le budget annuel d’un des très grands clubs du rugby français doté d’une grande école de rugby et donc d’un nombre important d’équipes, de joueurs : le Stade Toulousain. La pression est considérable, irréfragable. Imaginez-vous ! Un garçon de 18 ans : s’il touche du rond, c’est beaucoup de ronds ; s’il touche de l’ovale, c’est pas « bézef ». C’est énormément difficile de supporter une telle situation. En fin de compte, comme l’a dit Daniel Herrero, lorsqu’on est dans le quadrilatère avec de l’herbe sous les crampons, tout cela finit par ne plus compter. Quand Jean-Baptiste Lafond se place sous les chandelles de Rob Andrew lors du  dernier France-Angleterre, le fait de toucher un rotin ou pas ne l’effleure, à ce moment là, pas un instant. L’important est d’avoir la balle, d’en priver les anglais. Vraiment, dans les actions de jeu, les fins de mois ne comptent plus du tout. Et, je pense qu’il en va de même dans les Jeux Olympiques.

Le fric – j’étais à Barcelone – ce n’est pas ragoûtant. Et puis lorsqu’on se trouve sur la piste pour courir un 1 500 mètres, on veut la victoire. On n’a plus en tête le moindre calcul de fric, on désire la victoire, vivre la joie de la victoire.

Et de dire, en rentrant, tous simplement à l’être aimé : c’est gagné. Ce vécu et cette reconnaissance sociale priment sur « les picaillons ».

Daniel Herrero – Un mot sur ce sujet qui, dans le présent, n’est pas le plus important de l’aventure sportive et de l’aventure rugbystique en particulier.

D’évidence, si nous attaquons le sujet, le débat va perdre quelque peu en poésie.

Le jeu du rugby – nous l’avons déjà dit – est intégré dans la dynamique sociale parce qu’il est médiatisé, parce que l’ensemble des pratiques sportives, lentement mais sûrement sont appropriées par l’économique. Il se véhicule de plus en plus d’argent dans le rugby et la médiatisation s’accélère.

Il y a de cela quelques années, très peu parmi les hommes du rugby, s’entraînaient plus de 2 à 3 fois par semaine. Aujourd’hui, ils s’entraînent 6 à 7 fois par semaine parce que nous sommes dans une dynamique économique sévère avec une offre très mince d’emploi, du chômage alors que le rugby, en maints endroits, est resté une pratique sportive très populaire. Et bien évidemment,  l’appétit d’argent a grandi.

Naturellement, la conjoncture porte à ne plus voir l’argent comme un mal, un ennemi mais une chose avec laquelle nous sommes amenés à faire route. Et ce faisant, nous sommes obligés de nous pervertir, de devenir de « mauvais citoyens », des trafiquants par rapport aux humanités et à l’humanité. Mais regardons de plus près. Il joue dans un club de rugby. Il prend trois bâtons et il ramène le bouclier de Brennus ; dès leur arrivée, le maire et le député se l’arrachent pour le montrer à la foule (rires). Et les sponsors derrière.

Quand un joueur gagne 8 à 10.000F par mois  – ce qui est à peu près le montant des indemnités dans les bons clubs selon la rumeur – il n’y pas là fondamentalement altération à la morale.

Cependant, durant les périodes d’intersaison où les mutations doivent s’opérer, un nouveau profil de joueur apparaît … Après avoir toute la saison écoulée était généreux, ouvert, solidaire avec ses partenaires, il devient en ces moments là, sans foi, ni loi … à l’image de ce que l’on vit et que l’on voit dans l’ensemble de la société dès qu’il s’agit de descendre dans l’espace financier. Très souvent, l’humanité s’effrite. Le rugby est encore faiblement attiré bien qu’il soit en mutation. L’élite du rugby va rejoindre le troupeau – sans connotation péjorative – des pratiques sportives qu’ont fait du jeu un travail en devenant professionnels. Ou bien réussirons-nous à garder nos pratiques antérieures en offrant une véritable condition de promotion sociale. Mais aujourd’hui, celle-ci est difficile. Comment trouver aujourd’hui à Toulon, à Toulouse, à Mazamet et même à Paris un travail à 10 000F par mois ?

Et l’affaire se corse lorsque les joueurs n’ont pas de véritable formation, lot trop commun malheureusement. Alors l’argent simplifie. Et parce qu’il simplifie, il débouche sur l’assistanat. Parce qu’il débouche sur l’assistanat, il fragilise, il mine l’homme de l’intérieur. Ou infantilise encore plus, à un degré supérieur. Ou normalise encore d’un nouveau pas. On aseptise encore un peu plus. Et c’est vrai, nous voyons poindre à l’horizon, les grands maux. Les mêmes qui ont, il y a 10 ans, touchés les footballeurs, les boxeurs, les cyclistes, les tennismen à savoir : la déshumanisation.

Et nous, hommes de rugby, gens qui avions, je crois, sacralisé la solidarité, nous nous trouvons guetté par ce mal absolu : l’individualisme et l’égoïsme.

Pour ma part, je suis persuadé qu’il y aura un prix à payer pour l’évolution de ce jeu, pour son insertion dans la modernité.

Et ce prix là n’altèrera pas forcément la qualité du rugbyman. Il y aura sûrement un professionnalisme mais il y aura toujours un excellent rugby. Il caractérisera une toute petite élite ; élite que nous ferons différente, hors norme. Les citoyens qui s’y propulseront ne seront pas systématiquement « des enfoirés ». Ils seront dans une autre dynamique. Freiner des 4 fers cette évolution, c’est aller à l’encontre de l’histoire en encourant des risques pires : l’hypocrisie n’est-elle pas un mal encore plus périlleux que l’égoïsme (applaudissements).

Un auditeur – Je suis président de Lombez Samatan Club. Je suis enseignant mais ni homme politique, ni homme d’affaires. Je suis comme Jean Fabre auquel le Stade Toulousain doit beaucoup. Jean Fabre, un ami qui fait partie de ceux qui ne sont pas allés au rugby pour se servir mais parce qu’ils avaient quelque chose à dire, à faire, à apporter à la FFR comme ailleurs. Et, je le dis avec gravité combien c’est triste de voir les déchirements, les disputes pour aller aux affaires, pour le seul bien de ses propres affaires ?

Je suis président du LSC depuis 1978 et au LSC il n’y a aucune bataille pour la présidence. Parce que chez nous, il faut se battre au quotidien, il faut travailler chaque jour, il faut donner de sa personne tous les jours. De cela, il y a de moins en moins de gens capables de le faire, de vouloir le faire. Nos maillots sont de couleur rouge. Ils sont rouges parce que là-bas nous nous battons pour aider les petits. Je pense que le choix de couleur que Daniel a fait pour son bandeau n’est pas aussi sans signification !

Nous avons une école de rugby et quand on garde l’envie de continuer, en dépit des difficultés, c’est parce qu’on défend les vrais valeurs que propagent ce sport : la solidarité et le courage. Ces valeurs nous portent.

Nous avons parlé d’argent. Au L.S.C. : 300 licenciés à faire vivre avec 1 million de francs. Les primes de matchs, il y en a, et je vais vous dire combien gagne au L.S.C Club en 1ère division depuis 15 ans, un joueur  : 150F par victoire. Pas un autre club en première division ou ailleurs est capable avec honnêteté de donner le montant des primes de victoires.

Contre Albi, dimanche dernier, avant le coup d’envoi nous n’avions aucun espoir de qualification et pourtant nous les a
vons gagné. Et ensuite nous avons fait la fête parce que, ce jour là, nous avions gagné un match de rugby. Nous étions tous entre copains et cela est important à défendre.

Pour parler de la Fédération Française de Rugby, et de ses polémiques, j’ai bon espoir que les choses vont changer, doivent changer assez rapidement en faveur des petits clubs formateurs. Rappelez-vous de Beaumont de Lomagne ! Il est passé par le même chemin que nous, petit club formateur. On n’en parle plus.

Nous ne savons plus que proposer, avec quel argent continuer pour que vive le rugby de village, un rugby menacé. Sans convivialité, il n’y a plus de rugby.

Il n’y aura plus de rugby si les grands clubs ne sont pas capables de comprendre qu’il faut aider les petits clubs, qu’il faut se tourner vers les petits clubs. La Fédération doit être capable de comprendre l’intérêt de tous ces petits clubs où il s’agit de travailler durement et toujours plus.

A Lombez, il n’y a pas 3000 habitants et pourtant 300 jeunes jouent au rugby. Les quatre dernières saisons – et il faut le savoir – nous avons été champion de France trois fois : deux fois en Junior, une fois en Cadet.

Je compte sur vous tous ici pour appeler de tous nos voeux que le rugby doit continuer à vivre dans un système de solidarité et de convivialité (applaudissements).

Autre question : que pensez-vous de la violence qui se manifeste dans le rugby ? Que pensez-vous des écoles de rugby pour lesquelles Michel Platini est sceptique ?

Marcel Rufo – Ma réponse sur la violence va être très partielle et je m’en excuse. Ce qui est remarquable au rugby, en comparaison avec le foot, se situe lorsque les joueurs prennent des coups. Lorsqu’un rugbyman prend un coup – et certains sont très violents – l’exhibitionnisme est nettement inférieur à celui d’un footballeur, victime d’un coup. Et à distance de ce coup, parfois naissent, se forgent des amitiés, par exemple entre un gars du Boucau et un d’Agen après s’être frictionnés lors d’un match.

Il faut dissocier la violence perverse et la violence naturelle.

La violence perverse se manifeste par une volonté de faire mal, hors du jeu, hors de l’action, hors de la mêlée ouverte ; la violence naturelle est celle entraînée parfois par la volonté de conquête, de ramasser ou arracher un ballon. Cette violence ne déteste pas l’autre. Elle est aussi sans haine. Elle n’est que vaillance.

Les coups de pieds à terre ? Ces ordures là doivent être sanctionnées, condamnées, emprisonnées, formées, éduquées. Il y va de la responsabilité également des dirigeants lorsque leurs joueurs donnent des coups de pieds à terre. Si vous avez – et je parle en tant que spectateur – un car de rugbymen capables de ressemeler tout ce qui passe devant leurs pieds, votre fils étant sur le terrain, faîtes le sortir en disant que les entraîneurs et dirigeants de ce club sont des malades.

Par contre la violence qui porte à être conquérant de ballons, rien à dire. Il faut savoir transformer un gosse violent en super joueur de pack.

Il y va aussi de l’éducation des parents du rugbyman. Prenons l’exemple d’un joueur de tennis classé 30 ou 40 qui a un fils classé rien du tout et un peu couillon pour lequel il nourrit une grande ambition. Il lui fait faire tous les tournois d’été, le suit et lui montre ses échecs. Le gosse va se blesser le tendon d’Achille, les coronaires et le reste des neurones présents chez lui. Le problème de la championite, de l’enfant-champion, de l’enfant doué en rugby pose le problème du respect de l’enfant dans son intégralité, dans sa globalité qui est d’abord d’être un enfant. Par exemple un enfant qui serait doué au poste d’ouvreur (et après le dernier France/Angleterre c’est peut-être un poste d’avenir) ! tout le monde dirait ce cadet est le meilleur de tout son comté. Moi je prétends qu’alors il faudrait dire : « en français, en math : que vaut-il ? » Le père de ce jeune devrait vouloir qu’il réussisse en rédaction pour savoir raconter son éventuelle percée au ras de la mêlée, côté fermé, qu’il sache raconter sa percée et même qu’il la vive. Voilà ce qui serait pour moi un demi d’ouverture en quasi réussite. Il convient de former les parents afin qu’ils évitent de sublimer pour leur progéniture des espoirs de carrière qu’ils n’ont pu, pour leur propre compte, jamais assumer. Et c’est ainsi qu’ils vont incarcérer le jeune dans un désir de leur propre jeunesse reprojetée sur leurs enfants.

Il n’y a rien de plus dangereux qu’un désir qui n’est pas le sien : le cadet, s’il est talentueux, c’est son talent qui est engagé. Et le respect des parents vis à vis des enfants est de respecter les enfants dans leurs propres talents, sans s’approprier leurs talents.

La mère de Chang est à hospitaliser, si vous voyez ce que je veux dire.

Elle est « refaite » sur le plan tennistique. Quand l’air commence à manquer au petit américain qui renvoie tout du fond du court, comme s’il avait besoin du souffle de sa mère, elle lui souffle les coups à jouer ! En plus, elle lui interdit les désirs, une sexualité, et elle le pousse vers un christianisme de mauvais aloi. Pour elle, l’addition des mauvais comportements est lourde.

Un auditeur – L’évolution du Rugby Club Toulonnais, la doit-on à Daniel et à Marcel ? Car il y a eu à Toulon une évolution rugbystique lisible lors des matchs où rencontrer maintenant Toulon est une toute autre histoire

Par contre, pour revenir aux clubs formateurs dont on a déjà parlé, il y a des formateurs, des éducateurs qui se consacrent à l’éducation des jeunes avec de petits moyens et pas toujours la compétence souhaitée. Quelles relations établir entre cette situation et le rugby de demain ?

Marcel Rufo – Mes fonctions de responsabilités au R.C. Toulonnais ? Lorsque Daniel est parti, j’ai écrit au président du Club – afin que cela reste entre amis, en famille – que je démissionnai du comité directeur parce que mon problème était un problème de fidélité à Daniel. J’étais venu pour Daniel, parce que c’était Daniel, ne m’autorisant que de Daniel. Symboliquement, avec le groupe proche de Daniel, nous nous sommes mis en réserve de la République Toulonnaise après son départ. Mais entre le problème de l’entraîneur et le problème administratif, il n’y a pas eu lien, car j’ai reçu une carte de membre d’honneur pour service rendu. C’était impressionnant dans les tribunes de se retrouver avec tous ces détenteurs de cartes gratuites. Service rendu fait ancien combattant.

Mais je voudrais développer un deuxième point. Pour t’intéresser au rugby, tu n’es pas obligé nécessairement d’être couillon. Et un bon élève peut s’intéresser au rugby. J’en atteste. J’ai été très bon élève et j’ai eu la chance dans mon adolescence de parler rugby avec Daniel qui était un des cadets les plus talentueux de sa génération. Nous parlions aussi de tennis avec des oppositions farouches et nocturnes. Il peut témoigner de nos disputes, lui qui me mettait toujours à 10 mètres.

L’idée intéressante dans le RCT était que Daniel me laissait dans le club avoir avec les joueurs des relations de proximité, d’intimité intégrant les problème de psychologie personnelle comme les relations familiales. J’avais un label de confiance d’un entraîneur identifié à la fois comme mère et père. Daniel représentait le père et la tendresse ; il était une sorte de double potentiel identificatoire où on pouvait s’attendre de recevoir de la tendresse. Pour des joueurs confrontés à la propre violence de la vie, de leur origine, de leur organisation psychique, de leur identification, du jeu, je servais à comprendre à cela et les aider. Mon rôle essentiel – par exemple avant de jouer contre Toulouse – était de dire à Daniel comment je sentais les joueurs.

J’ai connu
au RCT un prolongement d’un rêve d’adolescent partant à la conquête d’un club, d’un jeu. Car nous avons pu, à un moment donné, conduire ce jeu esthétique. Les adolescents, lorsqu’ils sont d’un club, disent toujours comment ils aimeraient que leur équipe joue. Et notre chance, c’est que Daniel soit devenu l’entraîneur emblématique de ma ville, de ce club et que moi j’ai été, tout petit, son pote. Il vaut mieux avoir des potes, quand tu es petit, comme lui, car après, tout se déroule.

Daniel Herrero – j’avoue quelques émotions sur le propos. On rentre dans l’intimité des choses ; soit on en fait une présentation théorique, soit une présentation affective et profonde comme vient de le faire Marcel. Le climat est à la confiance.

L’aventure sportive est  aventure humaine concernant des hommes, et plutôt de la tranche jeune, du domaine de la fraîcheur physique, de l’enthousiasme, de l’impertinence, de la dimension corporelle. Et je considère que le rugby ne peut être qu’un prétexte à l’obtention du bonheur. C’est fondamental. Avant tout, le rugby est un prétexte à bien vivre sa jeunesse. C’est un principe, une réflexion que nous avons eue très tôt chez nous où le rugby a, en plus, de l’importance. Mais nous avons – je crois – toujours su relativiser l’aventure,  su garder une authentique aventure humaine. Pour moi qui suis un affectif, je ne peux exclure la dimension affective, la dimension du plaisir, de l’effervescence, de l’émotionnel, du grand chant, de la grande turbulence. La dimension du plaisir est au centre. Je me souviens m’être assez rapidement rendu compte lorsque j’étais benjamin, minime et cadet que l’acquisition de connaissances ne freinait pas ma réussite, mais mon bonheur. J’avais beau savoir comprendre un fond de touche, un ras de mêlée, une organisation défensive de pointe dans telle ou telle situation, restaient les tensions entre les hommes, les enfants, les adolescents, les adultes, entre eux et avec les cadres du club et les cadres du club avec les dirigeants. C’était là qu’il y avait toujours l’essentiel du problème.

Les problèmes les plus difficiles à gérer ne sont pas de nature technique. C’est rare qu’un club se divise, se déchire, s’abîme sur des problèmes de technicité. Les problèmes majeurs d’une aventure collective sont toujours autour de la dynamique affective. J’ai eu la chance d’avoir un ami d’enfance qui était, je crois – et j’en suis sûr maintenant – spécialisé dans les problèmes de psychologie humaine. J’avoue avoir eu de l’intérêt pour tous ces genres de problèmes, mais je savais bien qu’en acceptant d’être entraîneur, dans le cadre toulonnais, dans l’effervescence toulonnaise, dans la chaleur toulonnaise, dans la dynamique du rugby d’aujourd’hui, le plus difficile serait de l’ordre des relations humaines. Un à deux millions de personnes en France connaissent bien le rugby. C’est un jeu simple. Le mécanisme le plus compliqué du rugby, la chose la plus compliquée de l’intelligence technique est bien plus simple que les rapports dans un groupe qui échappent au mécanisme de l’addition. C’est à dire qu’un enfant de 7 à 8 ans peut parfaitement comprendre la structure la plus élaborée du Stade Toulousain ou du rugby australien et, en sachant faire une division, il met en oeuvre des mécanismes intellectuels plus complexes que le jeu des Champions du Monde. Donc pas de problème technique en devenant entraîneur. Comme je savais que la préparation physique serait au coeur de l’évolution et de l’amélioration de l’équipe , je me suis entouré d’un préparateur physique, un ami également.

Et c’est ainsi qu’avec un docteur ami, un préparateur ami, les amitiés de base donnaient une solidité aux fondations. Marcel faisait un massage, un strapping, une piqûre, comme un soutien moral. Et comme chez nous, toulonnais, notre force était dans cette gigantesque énergie combattante ; mais cette énergie colossale peut être aussi énergie-catastrophe. Elle peut amener un comportement de Huns, tout balayer mais sans rien regarder, entrer dans des moments de folie, nous les avions eu dans l’histoire et là était le problème. Rendre cette énergie performante car une équipe, où qu’elle aille, ne baisse jamais les yeux et si dès son entrée sur le terrain elle est prête à mourir, c’est une équipe qui doit être performante. Le but était d’écarter la stupidité, la violence gratuite, d’éviter de s’engager dans la bêtise. La présence de Marcel a été sur ce plan un apport prodigieux, déterminant. Mais, je ne théoriserai pas pour autant la nécessité d’avoir un « psy » dans une équipe. Il y avait des liens authentiques dans une conjoncture affective. Marcel d’abord, l’ami des joueurs, le mec qui donnait l’Algipan, qui faisait un massage. Sur ce plan, il avait carte blanche et une attitude d’écoute, d’observation et moi je ne lui demandais rien en retour car je fonctionnais sur l’absolu mode de la confiance. S’il sentait une tension chez un joueur, il venait éveiller mon attention. Dans une équipe, tu fonctionnes toujours sur deux grandes polarités : la frustration ou la gratification. « Tiens les gars, on est extrêmement bon en ce moment ». Cela fonctionne bien car si tu mets du « Baranne » sur les pompes de pauvres mecs, ils deviennent royaux (rires). Et tout va bien. Et puis de temps en temps, si à force de leur cirer les pompes il n’y a plus d’effet, tu leur dis « Et ça va ! Pour qui vous prenez vous ? » Tu commences alors à altérer. Ce sont des dynamiques qui dans l’acte le plus simple peuvent aider à la transformation des joueurs. C’est vrai que l’entraîneur, à vouloir stimuler un joueur par la frustration en pensant ainsi le réveiller, peut faire complètement faux en ignorant une donnée que Marcel, lui, aura perçue. On ne peut pas imaginer la quantité d’erreurs relationnelles évitées parce que lui était un élément d’une dynamique collective. Je revendique le bonheur d’avoir eu dans les années 85-90 le privilège d’être dans une équipe qui était équilibrée au niveau des problèmes posés par la réalité sportive : problèmes techniques, problèmes d’équilibre, problèmes de dynamique affective, émotionnelle, relationnelle, d’équilibres psychologiques. Or, tout le monde sait : la compétition, c’est dur. Chaque dimanche, tu dois fracasser les gens d’en face et les gens d’en face ont envie de te fracasser. C’est une épreuve psychologique. Comment tolérer les récriminations de ceux qui refusent qu’un joueur prenne 10 000 balles pour s’entraîner durant 10 mois de l’année, se dépasser tous les dimanches, souffrir, avoir mal, se faire mal, recevoir des coups sans parler des problèmes induits dans la relation familiale, dans l’acquisition des connaissances. Tu te trouves en rupture avec la culture et tu te mets dans des ghettos. Tout cela, si tu ne sais pas le gérer, eh bien, tu imploses de l’intérieur, tu t’étales !

La présence d’une compétence – si cette compétence est comme pour nous de surcroît affectueuse – elle peut donner à l’aventure un relief encore plus grand (applaudissements).

Un auditeur – L’homosexualité et le rugby : personne n’a voulu aborder cette dimension. Egalement : comment se fait-il qu’il y ait une telle lutte de pouvoir pour devenir président de la FFR ?

Marcel Rufo
– L’homosexualité est, je crois psychologiquement normale chez les garçons arrivés à une certaine période et il ne faut pas confondre homosexualité et sexualité. L’homosexualité, c’est une histoire à deux identités, une reconnaissance dans l’adolescence de qualités dans l’autre que tu n’as pas, qu’il n’a peut-être pas mais que tu projettes sur lui. C’est toujours le meilleur ami qui te sert à la construction de ta personne, de ton moi. L’homosexualité est cette période probatoire, une période obligatoire de bisexualité plus que d’homosexualité. L’adolescent, vers les 11-13 ans, est tout à la fois tenté de régresser à la période de petite enfance ou au contraire d’aller
vers une période de l’âge mûr ; à ce moment là, il y a une période obligée d’homosexualité. Et le rugby est un splendide moyen de sublimation de l’homosexualité. Il permet de la sublimer par l’effort, le combat, la destruction de l’autre en face, le placage, l’arrêt et y-a-t-il plus beau symbole sexuel  que la mêlée ?

J’ai parlé d’homosexualité en me disant qu’ainsi j’arriverai à exprimer la thématique homosexuelle (pour ceux qui connaissent Manu Diaz, c’était un moment risqué de ma vie et lui l’a tout à fait compris).

Je l’ai rencontré l’autre jour à Toulon où il a maintenant un bistrot, à côté du Palais des Congrès. La première chose qu’il a faite dès qu’il m’a vu a été de m’embrasser et je l’ai parodié en me disant « tu vois, cela confirme ton homosexualité ». Et ceci l’a fait mourir de rire.

Le rugby permet un temps de sublimation de l’homosexualité en tant que repérage de questions posées au même sexe que le tien ; ce qui permet d’affirmer ton sexe et ensuite ta sexualité.

Quant à la question du pouvoir dans la Fédération Française de Rugby ces derniers temps, il convient, comme toujours, de se méfier de tous ces gens qui veulent avoir le pouvoir et quels qu’ils soient et à quelques niveaux qu’ils se situent. Tous ces gens qui veulent avoir le pouvoir ont un point commun ; lorsqu’ils étaient petits leurs mamans ne les avaient pas assez embrassés.

Jean Lacouture – Je ne dirai rien de mieux n’ayant pas connu Madame Ferrasse mère et ne sachant pas comment elle a traité son fils. Quant à Madame Lapasset mère, je ne la connais pas non plus.

Marcel Rufo –  C’était la fille de Madame Ferrasse mère.

Jean Lacouture
– C’est donc une question de famille et de pouvoir. Depuis 50 ans de rugby et surtout de politique, les deux ne m’apparaissent pas toujours très distincts. L’appétit de pouvoir, la volonté tendue vers le pouvoir, le contrôle et la domination des autres est une des pulsions humaines les plus permanentes, les plus constantes. Et, me semble t-il, elles sont encore plus apparentes dans les sociétés méridionales et là, nous, avec le rugby, baignés au coeur de la civilisation méridionale faîte d’une éloquence propre à ce cher Midi, faîte du forum, du tribunal. Voilà peut-être quelques explications des comportements de Ferrasse ou peut-être de Lapasset qui se prennent pour des consuls romains et préfèrent n’être que le seul consul à la tête de l’Etat FFR.

Je ne vois en cela qu’une façon d’être très classique. Ferrasse nous a donné un exemple d’un pouvoir conquis, assuré, mené à certains égards, de manière tout à fait valeureuse. Il est l’homme qui a maintenu un championnat ouvert à de nombreux clubs permettant ainsi à de petits clubs de jouer dans la cour des grands alors que les anglais sont aujourd’hui en train de faire un championnat à 10 équipes. Cet homme mérite donc, à tout le moins, un minimum de respect quelque soit par ailleurs le jugement que l’on puisse porter sur l’homme en général et sur la marche de la Fédération durant une vingtaine d’années.

Et en tout cas, nous avons eu aussi le phénomène du pouvoir qui se prolonge indéfiniment et nous pourrions crier aussi dans la Fédération de Rugby comme dans les rues de Paris à une certaine époque : « Dix ans, C’est assez ! »

Daniel Herrero – Sur le pouvoir fédéral comme pour beaucoup de monde, tout cela m’a beaucoup agacé car nous sentions que la maison » s’abîmait avec toutes ces querelles.

J’ai, comme vous, vu la filiation étrange : Ferrasse-Fouroux suivie de la division, de l’implosion, de la perversité, de la malveillance, de la méchanceté, de la jalousie. Est-ce vraiment une caractéristique propre à tout être humain de n’arriver à grandir qu’en écrasant les autres, en les niant, en les enfonçant, en les détruisant dans leur identité ?

Je n’arrive pas à comprendre comment ne pas tirer gloire de la gestion aujourd’hui de la FFR qu’au regard d’une seule considération : celle que l’on doit porter à la jeunesse. Il ne doit y avoir que le respect des jeunes d’aujourd’hui qui pratiquent ce sport qui mérite d’être exemplaire. Quel spectacle, tous ces prétendants à la direction de ce sport ont offert à la jeunesse ! Où était, dans leur propos, la place des jeunes ?

Est-ce lié à l’argent ? Est-ce lié à une propulsion du rugby dans les mondes politiques et économiques ? Cela fait longtemps que personnellement tout ceci me fait « caguer ». J’avoue ne pas comprendre.

Je vous demande de me permettre d’ouvrir une parenthèse, ici en pays toulousain, sur Jean Fabre.

Tout à l’heure, son nom a été évoqué un homme pour lequel je nourrissais (à l’imparfait) un authentique respect et même franchement une véritable sympathie. Je trouvais qu’il avait été, de par son passé, un grand joueur, un grand dirigeant d’un des plus grands clubs français : le Stade Toulousain. Il l’a mené de façon exemplaire à la modernité. J’étais donc tout prêt à penser que l’universitaire qu’il était pouvait devenir enfin un grand président de la FFR. Les anglais, le monde anglo-saxon génère des gérants de l’aventure sportive d’un haut niveau de moralité. Et ce n’est malheureusement pas le cas en France où les responsables qui dirigent l’aventure sportive ne sont pas forcément des gens de qualité, de bonne moralité et nous en souffrons.

En Jean Fabre, je trouvais un type bien pour le rugby français. Et celui qui pendant de nombreuses années l’avait constamment troublé, l’avait nié, avait jeté sur lui un anathème insupportable, avait accablé son club de tous les maux imaginaires, avait supprimé le Master’s, avait interdit la porte de l’Equipe de France à des joueurs  du Stade Toulousain, avait fait abattre sur Toulouse tous les poux et toutes les puces de la plus grande laideur ; et c’est alors que pour obtenir le pouvoir, il s’acoquine avec lui.

A partir de ce moment là, il a abandonné ses idées pour conquérir le pouvoir. Je n’ai pu m’empêché de lui retirer dès cet instant mon respect. Je m’en excuse pour tous ceux qui l’apprécient ici, pour tous ceux qui, à Toulouse, ont cheminé avec Jean. Pourquoi lui ai-je retiré mon respect ? Parce que dans l’aventure sportive, on ne peut être véritablement emblématique pour les jeunes qu’à la condition d’être soi-même franchement proche de ses idées plus que du souci d’avoir le pouvoir ! (applaudissements)

Un auditeur – je voudrais savoir ce que Daniel Herrero, dans les vestiaires avait dit à ses joueurs avant le quart de finale à Montpellier contre le Stade Toulousain.

Daniel Herrero – Je pourrai retourner la même question à l’adresse du Stade Toulousain car elle mériterait de lui être également posée. Il ne faudrait pas voir d’ambiguïté entre un propos tenu ici dans ce contexte et un propos tenu avec mes joueurs dans le vestiaire avant le match. J’ai toujours considéré que l’aventure sportive était fondamentalement affective. Et par conséquent, j’ai beaucoup de respect pour la dynamique affective des Biterrois, des Toulousains, des Grenoblois et bien sûr des Toulonnais. Franchement, tous nous fonctionnons essentiellement à partir de la transcendance, en quête de transcendance et cette dernière est toujours bâtie sur l’émotion. Et si dans le propos, ils la portent différemment, la moralité et les ressorts sont les mêmes pour tous.

Certains ne le disent pas, par honte. D’autres acceptent de communiquer à l’extérieur – type Bègles – leur conception de cette problématique affective. Ainsi, les Bèglais des saisons 91 et 92 ont plusieurs fois déclaré notamment dans le journal Midi Olympique que leur mode de motivation était bâti sur le registre de la haine.

C’est un concept qui m’est apparu un peu excessif dans l’aventure sportive ; très honnêtement le
Daniel Herrero qui se tient en face de vous n’a jamais prononcé ce mot là avec ses joueurs. Jamais. Effectivement dans les grandes luttes d’orgueil comme il peut s’en trouver au niveau des quarts ou des demi-finales, il nous faut transcender. Il nous faut à l’évidence trouver les moyens de dépasser l’orgueil de l’autre. Toutes ces grandes confrontations d’orgueil doivent être préparées.

Or, à Toulon, nous n’avons jamais joué sur la dynamique de la destruction de l’autre. Jamais. Pour revenir en 1988, à Montpellier contre le Stade Toulousain, je ne vais pas reprendre ce que j’ai dit tout à l’heure sur Jean-Marie Cadieu afin de ne pas être suspect, voire lourd.

Jean-Marie Cadieu jouait la finale de 85 avec le Stade Toulousain. Soit dit en passant, la plus belle finale peut-être de l’histoire du rugby français et certainement une des plus belles restant pour tous, vainqueurs et vaincus, gravée dans notre coeur. Et le respect que nous vous portons depuis ce moment là est absolument total quels que soient les événements ayant par la suite parsemés nos rencontres.

En 85, au coup d’envoi tapé normalement par Toulouse, mon frère, qui n’avait pas le ballon, explose sur dix mètres. Même s’il n’avait pas le ballon, ce type d’action se comprend, ce rugby est de l’ordre du normal. Personne n’en a voulu à Jean-Marie. Il nous a éclaté certes hors du règlement ;  nous, nous connaissons le rugby, nous connaissons Jean-Marie Cadieu, nous connaissons Toulouse, nous connaissons Toulon. Nous acceptons l’éventualité d’une telle action de jeu mais à partir du moment où l’adversaire introduit ces pratiques, tu peux envisager que je recherche la réciproque. Mais si un jour, tu dois riposter, tu le fais sans rien dire à personne. Et Jean-Marie Cadieu quittera le stade. J’avoue que cet engrenage est détestable et à bannir (applaudissements).

Un auditeur – J’ai entendu dire que, comme Michel Platini pour le foot, Daniel Herrero était contre les centres de formation, les écoles de rugby pour les jeunes.

Marcel Rufo
– Dans l’enseignement, il ne faut en aucun cas mettre sur le même plan pédagogique, des disciplines comme le sport, le dessin, l’histoire et la géographie, les mathématiques on peut les mettre au même rang. Je suis personnellement favorable à un tiers-temps pédagogique ; une détente par diverses formes de jeu. Mais je n’honorerai les qualités d’un jeune à travers son sport qu’après être allé voir sa performance en français, en rédaction, en maths.

Dans ma pratique professionnelle, 7 cas sur 10 sont des enfants en échec scolaire que les parents m’amènent en consultation. Evidemment si je porte l’accent à nouveau, après leurs parents, sur leurs difficultés en français ou en maths, je les fixe, je les fige. Si au contraire je cherche à les éviter, à les contourner et si je positive les qualités de l’enfant, paradoxalement il y a, de temps en temps,  des surprises heureuses. Il m’arrive de constater qu’il fait des progrès là où visiblement il est perçu positivement. Quand je rassure les parents sur le devenir de leur enfant, quand je rassure l’enfant dans ce que l’on appelle la confiance en soi (en terme psychologique, on dirait le « moi »), le même mécanisme psychique s’enclenche comme avant le match. Il y a le « moi » qui va atomiser Toulouse en quart de finale à Montpellier mis à part Jean-Marie Cadieu. Moi, en tant que toulonnais, je serai hors de doute ; et à la première mêlée ouverte, c’est gagné  ! Mais les toulousains en rugby n’ont que faire de la valeur de l’adversaire. Le « surmoi », c’est de se dire : il y a des trois quarts, un jeu structuré, et des avants qui rétorquent tout de suite aux arguments avancés par l’équipe d’en face dans leur « moi » et dans leur « surmoi » pour être, pour devenir champions. Et il y a encore une quatrième instance : le « soi ». Le « soi » est le vernis. Le vernis fait que de temps à autre, tu te sentes bien car il brille. Parfois, tu te sens mal et il devient, tu deviens plus terne. Le soir, les enfants auxquels on colle des cours de rattrapage ont leur vernis qui s’écaille. Ils sont souvent attaqués par leurs parents pour leurs comportements scolaires. Les parents doutent d’eux et voilà qu’eux se mettent en même temps à douter d’eux mêmes. Il y a un phénomène d’osmose le soir entre parents et enfants qu’en thérapie je prends en compte.

Pour revenir à la question des sections Sport-Etudes. Lorsqu’un jeune est fort dans son corps, ce n’est pas par le « Sport-Etudes » qu’il va devenir plus fort dans les autres matières. Et je crois que le grand danger pour les enfants et les parents, qui les guette est l’abandon des autres disciplines en se rassurant sur la seule qualité sportive.

Je suis tout à fait favorable aux sections « Sport-Etudes » mais seulement en tant qu’une des spécialités de l’Ecole. Le problème est de ne pas tomber de Charybde en Scylla. Prenons un enfant fort en sport et ayant des difficultés dans les matières fondamentales. En entrant en « Sport-Etudes », il risque de tomber dans le sport, de ne faire que du sport, que ce qui lui réussit alors qu’il lui faut et qu’il a d’autres cartes.

Daniel Herrero – Le plus grand malheur des classes « Sport-Etudes » et des centres de formation est en fait la spécialisation précoce. Le risque majeur est d’assouvir trop prématurément, trop vite, les désirs de gloire, de grandir, de bonheur. L’enfant qui a disputé à 8 ans un championnat d’Europe de foot, qui a été champion de France benjamin, qui a gagné une coupe d’Europe Minimes, arrivé à 15 ou 16 ans, il a déjà absorbé toutes les motivations de grandir. Il a vieilli trop vite, il en sort appauvri.

Le reproche prioritaire à faire aux centres de formation ne se situe pas dans leur stratégie. Mais, il s’avère que des gars qui sont passés dans des centres de formation dès 15-16 ans, d’aucuns en sortent passablement usés. Mais il ne faut pas faire l’amalgame car les centres de formation n’ont pas les mêmes qualités de préparation. Combien de jeunes, prometteurs, qui arrivés à 20-21 ans n’avaient plus aucune fraîcheur. Moi avec mon expérience dans l’éducation physique, je commence à avoir quelques sérieuses résistances sur le « Sport-Etudes » pour ses implications psychologiques.

L’idée initiale était bien. Offrir à un adolescent la possibilité de faire des études correctes de la seconde à la terminale pour obtenir son bac tout en continuant à progresser et à grandir dans son activité sportive.

Le grand aléa de cette formule, de ces lieux, c’est le ghetto. Il secrète une dynamique de ghetto, de l’isolement, du repli, de la coupure avec l’extérieur, de la difficulté à être branché sur la réalité de la vie, sur le champ de la culture et donc sur la nécessaire ouverture d’esprit. Tous les « Sport-Etudes » sont happés par cette dynamique.

Il est grand temps de réinventer la formation sportive dans le domaine scolaire et à mes yeux, il n’y a rien de mieux qu’à l’intégrer totalement. Le jeune doit faire ses études et sa vie sportive sans précaution particulière. Personnellement, je serai un tenant du sport éducatif à la manière des anglo-saxons , c’est-à-dire selon la formule du mi-temps pédagogique. Le matin est réservé à la culture, à la connaissance que les hommes ont acquise au travers du temps, de leur histoire, à l’appropriation de cet indispensable moyen qu’il est nécessaire de posséder pour pouvoir grandir dans la société. L’après-midi est consacré aux loisirs, aux arts, à la pratique sportive. Ainsi, on évite de créer le ghetto sportif tout en valorisant cependant les activités sportives (applaudissements).

Un auditeur – Daniel Herrero, pourriez-vous nous conter votre rencontre avec le rugby ? Question qui s’adressera à tous les invités présents à la tribune .

Daniel Herrero
– Fils d’immigré italien, pour moi, le rugby a
été un luxe qui m’a permis d’être aux côtés de mon père, de tirer un charreton pour porter les légumes sur le marché en bord de mer. Mais excusez-moi, je ne reprendrai pas ce long propos que j’ai écrit par ailleurs.

Jean Lacouture – Pour moi, il s’agit d’un amour impossible. A Bordeaux où je suis né, il y avait une très grande équipe de foot et le rugby n’avait que des équipes de 2ème division comme le S.B.U.C., le B.E.C. Bègles alors était faible. Mais pour moi le foot n’existait pas et le rugby était pour moi essentiellement un très grand spectacle. C’était pour moi la vision de quelques chose de très beau. Des premiers matchs qu’il m’ait été donné, dans les années 30, de voir, je garde encore devant mes yeux des joueurs. (Bien sûr, l’enfance enjolive ; c’est vrai ! Mais quand même, je suis absolument certain de la beauté du spectacle. Voir jouer à cette époque ayant vu depuis beaucoup de matchs – des gars comme Max Rouzié ou Marcel Bayet était impressionnant. Ils étaient de la stature des Gareth Edwards, André Boniface qu’il m’a été donné par la suite de voir.

Il y a eu donc pour moi une sorte de miracle avec le rugby. Je ne pouvais le pratiquer qu’en m’échappant de chez moi car nos éducateurs jésuites n’aimaient pas le rugby. Peut-être pour les considérations sur l’homosexualité qui ont été abordées précédemment dans le débat. Le fait est que le jeu de rugby était un exercice à éviter. Nous étions cantonné au football que d’ailleurs j’aimais beaucoup. Je jouais assez bien. Je continue à m’intéresser au foot qui est un sport intéressant mais de seconde catégorie (Rires). Le rugby a toujours été pour moi le rêve impossible. J’ai joué un petit peu au Stade Saint-Germain le dimanche et je pratiquais régulièrement le football en rêvant au rugby. C’était une station idéale, la non réalisation, l’attente devant l’autel, l’attente devant une réussite impossible.

J’ai vécu le rugby à travers des personnages magnifiques. Pour moi, c’est un cas d’héroïsme impossible, impossible à atteindre. (applaudissements)

Un auditeur – Que penser du beau jeu quand on ne voit que violence ?

Daniel Herrero – La violence n’est pas un phénomène ponctuel. Elle s’inscrit dans le cadre historique de l’aventure rugbystique. Le jeu de rugby est un jeu de grande tolérance en ce qui concerne les possibilités offertes dans l’affrontement, dans les modes de libération de l’énergie. C’est un lieu absolument colossal pour les grandes libertés offertes.

Personnellement, la violence ne désigne que la transgression de la loi, des règles.

En rugby, j’ai le droit de plaquer durement, de saisir un joueur à terre à plusieurs. Il peut donc y avoir une dimension de l’affrontement absolu sans pour cela qu’il y ait transgression des lois.

Aujourd’hui d’évidence, l’arsenal de répression de la violence est plus sévère que jamais. Les institutions en charge du rugby, la Fédération Française, l’International Board mettent une authentique pression pour contenir la violence.

Et, me semble-t-il, au plus haut niveau de ce jeu, elle est en régression. Au niveau international, il n’y a pratiquement pas de match violent, en 1ère division très peu, mais cela existe et peut survenir. Mais il y a la sévérité de la répression, la qualité des arbitres en amélioration notoire, la présence des délégués sportifs voire des super délégués, les médias présents en permanence. D’où cette indiscutable régression de la violence au plus haut niveau. De là à changer radicalement la mentalité française ?

Mais si l’on regarde maintenant du côté de la 3ème division et en dessous, le rugby reste un jeu violent, pas du tout générateur d’une belle humanité. Franchement, il est insupportable de voir dans notre « Maison Rugby » un volume très important de grands cons au nombre desquels nous avons par égarement pu être mais dont on ne fera plus, à jamais, partie.

Maintenant la pression de l’Institution et la pensée éducative arrivent au plus haut niveau à combattre la violence. A y regarder de plus près, plus par la répression d’ailleurs que par la pensée éducative !

Un auditeur – Quel doit être le mode de relation que doit avoir l’entraîneur avec les joueurs sachant que pour ce qui concerne la distinction entre violence et agressivité, le débat a fait un apport essentiel ? Comment lever l’ambiguïté entre autorité et amitié ? Est-ce que Daniel Herrero peut faire part de quelques réussites et échecs rencontrés dans sa carrière d’entraîneur ? N’a-t-on pas eu ce soir une défense et illustration d’une seule conception du rugby : celle de l’affrontement ? le rugby ne serait-il pas aujourd’hui, le rugby moderne, celui basé sur une tactique du contournement ? Peut-on aborder l’avenir du rugby ? Ne serait-il pas possible d’ offrir la pratique du rugby à des jeunes des quartiers défavorisés ? Ils satisfont leur besoin de libération dans les arts martiaux, dans le judo, la boxe française, le karaté, alors que ceux-ci sont peut-être des instruments de solitude. Le rugby aurait sa place, leur apporterait les mêmes valeurs transcendées par l’esprit d’équipe, une socialisation plus forte. Mais il faudrait une volonté fantastique pour vouloir faire passer culturellement le rugby dans ces quartiers pour ces populations des jeunes. Il faudrait des éducateurs dont le rugby manque peut-être ?

Daniel Herrero – Avant de choisir un mode relationnel, un type de jeu, les hommes doivent être à l’écoute de leurs propres qualités comme de leurs propres défauts. La manière qui fut mienne le jour où j’ai accepté d’être entraîneur d’une équipe de 1ère division a été définie par moi, pour moi. C’est ainsi que j’ai eu envie de me construire, d’être performant en tant qu’entraîneur parce que ce mode là me colle à la peau. Mais je n’allais pas pourtant éliminer le recours à la compétence, à cette dynamique de compétence qui concrétise l’autorité de l’entraîneur sur le joueur.

Il n’y a pas pour autant systématiquement réciprocité coopérante. Pour ce faire, il faut que s’installe un lien affectif étroit, authentique entre les joueurs et l’entraîneur. C’est ainsi que l’on trouve le bonheur sans forcément avoir la clef de la réussite. Nous, toulonnais, nous nous sommes véhiculés ainsi dans l’histoire. Nous nous réalisons le mieux de cette façon dans un affectif générateur de solidarité et de transcendance sans oublier la technique.

D’autres clubs – et certains le savent – fonctionnaient différemment mais étaient tout aussi performants ; par exemple les Bèglais se rapprochaient de nous. Nos amis narbonnais et bitterrois autrement. En cela, notre méthode ne peut pas être un mode de comportement référentiel et je n’en ferai pas l’apologie. Retenons simplement que la dynamique affective doit être constamment confortée par la compétence ; compétence qui passe par la connaissance du jeu, par la connaissance des hommes, par la connaissance de l’adversaire et par un fort sentiment de justice. Comment un jeu collectif mettant en relation des hommes qui par essence sont des êtres affectifs ne s’amputerait-il pas, sans affectif, de l’essentiel ? Mais je sais pourtant que l’Olympique de Marseille peut être champion d’Europe avec des joueurs qui ne se parlent pas. Il n’y a pas de méthode référentielle en soi, hors d’un contexte et d’acteurs.

Marcel Rufo – Au début de l’arrivée de notre groupe, a joué un phénomène de transfert affectif ; il y a un sentiment amoureux associé à l’entraîneur qui, quelque soit ton niveau, ta place va te permettre de réussir en t’emportant psychologiquement. J’ai eu la chance d’assister à la première réunion avec les joueurs lorsque Daniel  prenait les destinées du R.C.T. J’ai fait les bordures pour recueillir les réactions. Des réactions absolument érotisées
, les joueurs parlant du discours de Daniel en disant : « On ne m’a jamais parlé comme cela depuis que je joue au rugby ».

Dans ce premier temps, la relation affective est très forte, de type transférentiel, exactement comme dans la cure psychanalytique. La deuxième étape est une sorte d’état où les équilibres sont à trouver entre la compétence de l’entraîneur et le soutien moral et affectif qu’il apporte personnellement. Cet équilibre fait que l’équipe se met à fonctionner et peut éventuellement accéder à une réussite qui dépend aussi d’autres facteurs. Dans un troisième temps, il y a une attitude de rejet, une phase de deuil dans la relation amoureuse. On est comme dans une histoire d’amour qui tourne court et alors, le plus intéressant est représenté par tout ce qui reste dans ce type de relations proche des affections antérieures.

Reste le problème de la roue qui tourne, de l’épuisement de la qualité affective de l’entraîneur pour le groupe rugbystique. C’est une étude à mener non seulement à Toulon mais dans tous les clubs ; du charisme, du charme, de la phase d’éclat puis de la phase régressive mais logique du deuil, sentiment tout à fait humain se jouant dans les relations humaines. C’est la nature humaine.

Simplement, un mot, maintenant sur la fonction sociale dans les quartiers difficiles que pourrait tenir le rugby. Je vais rencontrer un animateur qui a, à Tananarive, une action de ce type. On m’a dit qu’il avait réussi à établir une telle pratique rugbystique dans des quartiers défavorisés pour de petits malgaches avec un succès tout à fait considérable. Le rugby est leur seul lien social et pédagogique. J’ai parlé de quartiers défavorisés. J’aurais du dire ultra-défavorisés car nos quartiers défavorisés seraient là-bas parmi les plus nantis. Mais il est vrai que la notion est toute relative. On est le défavorisé qu’en comparaison avec le nanti qui est là-bas celui qui possède un réfrigérateur.

Les grandes motivations d’un entraîneur pour un groupe est dans la réalisation de sa mission d’enrichir, par son passage, des joueurs qu’il doit former. Je suis intimement persuadé qu’un entraîneur qui enrichit un groupe remplit une fonction bien plus importante que l’apport d’une bonne vision du jeu. Et le révélateur vient après, lorsque tu les rencontres dans la vie. Ils ont bénéficié d’une relation en partie thérapeutique, à la fois sociale et sportive. Et il t’en sont toujours reconnaissants.

Tout à l’heure, j’étais en accord avec la personne qui disait détester tous ces rugbymen qui courent vite et ne s’expriment jamais. Moi, je ne cours pas vite mais qu’est-ce que je parle (applaudissements). D’évidence les joueurs ne parlent plus. Les entraîneurs et les dirigeants s’en chargent. Est-ce le rapport classique du salariat ?

Jean Lacouture – Est-ce que le rugby est une école de citoyenneté ? Je ne sais pas. Est-ce que le rugby n’est pas une école de la solidarité ? Et quelle meilleure école pour la citoyenneté qu’une école de la solidarité ? Je voudrais garder dans l’esprit cette conception d’un rugby, école de la solidarité. Je sais bien qu’on pourra me contredire avec l’intrusion de l’argent (dont nous avons parlé) et avec une dimension, pas encore traitée ici, celle du chauvinisme national et de village. La violence – et j’émets une objection – est encore perceptible au niveau international. Lors d’un quart de finale de la coupe du Monde, à Paris, ne pouvait-on pas parler d »assassinat systématique » de Serge Blanco par le numéro 8 anglais. Nous étions dans l’ordre de la violence, d’une violence préméditée et coupable. Je me demande si la violence recule si fortement. Dans des matchs internationaux du moment (alors que j’ai une longue carrière d’observateur assez attentif du rugby), arbitrés avec soin, on assiste à des scènes d’une rare violence ; un joueur, par exemple, involontairement en position de hors-jeu dans une mêlée ouverte, est piétiné, martyrisé à coups de crampons. Pourquoi sanctionne-t-on le « piétiné » qui ne fait pas action de jeu, et non « le piétineur » ? Je vais vous paraître en retard sur l’évolution du règlement mais pour moi, il y va d’une règle élémentaire : le respect de la personne humaine en général qui devrait être également respectée sur les terrains de rugby. Et puis il y a le chauvinisme, facteur qui m’éloigne des stades. Le chauvinisme me fait vomir bien qu’heureusement il n’atteint pas dans le rugby les abîmes de certains stades de football. Dans certaines villes, le sport est devenu impossible. Il n’est pas possible de jouer dans une pareille ambiance, asphyxiante, ambiance nourrie et soutenue par les commentateurs de radios et télévisions. Il y a là quelques chose à corriger.

Un match devrait être précédé d’un appel pressant des organisateurs, de ceux qui reçoivent, de demander au public de considérer les gens qui viennent jouer chez eux comme des hôtes, de les respecter comme leurs hôtes. Le panneau d’affichage n’indique-t-il pas « invités ». Ne doit-on pas les traiter comme des invités ? Bien sûr, si eux se conduisent mal, des conséquences sont à tirer. Mais au moment où ils entrent sur le terrain, des hôtes arrivent chez vous et vous vous devez de les respecter comme tels (applaudissements).

Daniel Herrero – Affrontement, contournement, canalisation des énergies. Je ne pense pas que Pierrot Villepreux l’ait mis au coeur de sa démarche. Au jeu du rugby, on ne sait jamais qui sera le plus fort. On peut se rappeler du grand Estève qui jouait à Béziers, mesurait 2 mètres et pesait 450 kg (rires).

Il était capable de prendre 10 à 15 adversaires sur son échine (esquine) et d’aller marquer dans l’en-but.

A priori son comportement n’était pas enjolivé par des signes de grande intelligence. Cependant, lorsqu’il arrive derrière la ligne d’en-but, dans le rugby moderne, cela vaut 5 points. (A son époque, lorsqu’il était champion, cela ne valait que 3 points) Ainsi donc ce comportement est hautement performant. Ce joueur là a une utilité fondamentale sur un terrain de rugby. D’ailleurs, dans la finale de 1989, Denis Charvet passe à travers tout le monde, fait une course de 100 mètres et marque. C’est un essai et il compte des points. Pour certains, il y a là un comportement d’une grande esthétique ; pour d’autres, il n’y a que des « on l’a manqué », « on n’a pas pu l’attraper ». (rires)

Les deux ont une réalité et une efficacité.

Chaque fois que tu vas dans un espace dogmatique, à mes yeux, tu es en danger.

Lorsque tu fais rentrer une équipe sur un terrain pour ne faire que des mauls avec tous les joueurs qui poussent, qui passent par dessus et qui veulent dès qu’ils ont un ballon faire un maul, ils jouent faux. Le maul bien joué est une structure collective groupée qui quand elle est partie est très difficile à arrêter d’autant plus que le règlement actuel te protège. Dès écroulement du maul, tu prends une pénalité. Mais un maul c’est aussi difficile à faire partir qu’à arrêter. Mais lorsqu’il arrive dans l’en-but, il marque et tous ceux qui ont joué ce maul qui sont arrivés dans l’en-but, ils sont franchement contents y compris les collègues de l’arrière.

Moi, je viens d’une maison qui pour diverses raisons historiques a sacralisé le courage, a donné grande importance au combat collectif. Je ne vais pas tout reprendre quand c’est inscrit dans les mentalités. Tout ceci fait partie d’un référentiel collectif, d’un inconscient populaire.

Prenons l’exemple d’un entraîneur (que je respecte) qui en arrivant a voulu tout changer à l’ASM – l’Association Sportive Montferrandaise. L’A.S.M. a toujours eu de gros paquets d’avants ; l’Auvergne produit de gros paquets d’avants, doués d’une culture de l’affrontement, de la rudesse. On les appelait à une époque les monstres à 16 pattes. Ils ont eu beaucoup de satisfaction mais ils n’o
nt jamais soulevé le bouclier de Brennus. Dans l’après-guerre, ils sont arrivés 4 à 5 fois en finale.

Un beau matin arrive un entraîneur respectable et compétent : François Halle. Il propose un modèle radicalement différent, à l’opposé de leur jeu traditionnel. Il veut mettre du mouvement plutôt que de persister dans l’affrontement, dans un jeu qui cherchait à concentrer l’adversaire.

Ce jeu différent, ce jeu de mouvement, d’évitement, de contournement a eu des résultats la première année où, en jouant un beau rugby, ils parviennent en quart de finale.

Vient la 2ème année, après 4 ou 5 matches, les tribunes de Michelin ont commencé à maugréer. Elles reprochaient à leurs avants de ne plus jouer. Et les joueurs n’ont plus su comment exprimer leur agressivité. Ils ont été déstructurés par rapport à leur culture ;  la tradition, à l’évidence, il n’est pas également possible d’être en rupture. Il faut être précautionneux avec ce que les hommes ont acquis à travers une centaine d’années. A Toulon, dans toute l’histoire du RCT, il y a eu 52 internationaux , 38 ou 40 sont des avants soit près de 3 sur 4.

Depuis 50 à 70 ans, 33 entraîneurs se sont succédés : 80% étaient des avants.

D’où cette culture qui a fini par déboucher sur une potentialité paranoïaque dangereuse. On ne nous aimait pas. On nous en voulait. Alors il faut qu’on démontre. On s’était installé dans un jeu d’avants destructeur. Il altère la confiance. Il tombe dans la violence, dans un simulacre de jeu qui consiste à fracasser l’autre. Il altère la pensée des joueurs qu’ils soient Bèglais ou Toulonnais. Il y a là équivoque sur l’humanité, sur la morale.

Nous avions pendant longtemps une manière d’être et de considérer que faire peur à l’adversaire renforçait nos chances de victoire. C’était équivoque et des centaines de clubs en France croient en cela. Il faudra un jour s’interroger sur les raisons qui font que les clubs gagnent plus souvent à domicile qu’à l’extérieur ; des clubs sont sauvages chez eux. En dehors, ils partent en se faisant peur et ils sont d’avance battus. Toulon était aussi, capable de violence, d’en faire un acte tactique.

Si on fait peur à l’adversaire, il perd ses moyens, sa créativité, sa combativité. Cet acte tactique est dominant dans le monde du rugby. Tous ces gars qui se préparent à faire subir l’adversaire, à rentrer dans les mêlées comme des avions ; ils croient qu’à partir de la décomposition avancée de leur « moure » (du visage), ils vont faire peur en face. (rires)

Tous ces simulacres ont pour but de détruire la confiance que l’autre porte en lui.

A Toulon, l’usage de la violence comme acte tactique : nous l’avons interdit.

Où nous allions, nous respectons avec franchise les autres. Sur 10 saisons, il peut n’y avoir que 2 ou 3 exceptions. Par contre, s’il arrive que quelqu’un peut ou veut vous faire peur, blesse volontairement Jérôme Gallion, veut altérer notre santé par la violence. Celui là, il est mal. Notre psychologie, notre tolérance trouvent à un moment leurs limites et nous nous posons la question : « Comment devons-nous réagir face à la violence des autres ? ».

Et pour mot de la fin et illustration de cette rencontre : « Le rugby, c’est un jeu où l’on ne se croise pas mais où l’on se rencontre ». C’est de Lucien Mias.

Source
http://www.grep-mp.org/conferences/Parcours-7-8/RUGBY.htm