Automne 2013, gâté !

Le vin goûte souvent bien après les vendanges. Dans cette crispation annuelle de la nature, à l’automne, quand le rapport au végétal, à l’eau, au ciel, se bouleverse, alors les gouttes de ce précieux liquide qu’est le vin ne rentrent pas de la même manière dans le corps. Une question de spongiosité.

Merci à Matthieu et Michel pour ces cadeaux splendides, ces quinze derniers jours d’octobre…

 

Michelot-Buisson, Meursault 1er cru Genevrières, 1983

Château La Lagune, grand cru classé, Haut-Médoc, 1975

Château Figeac, premier grand cru classé de Saint-Emilion, 1979

Jean-Marc Boillot, Puligny Montrachet 1er cru Les Combettes, 1996

Domaine Jacques-Frédéric Mugnier, Chambolle-Musigny 1er cru les Fuées, 2001

Château du Breuil, Coteaux-du-Layon, 1949

Domaine Mugneret-Gibourd, Echezeaux grand cru, 2008

 

 

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Francis Ponge, Le vin

 

« Le rapport est le même entre un verre d’eau et un verre de vin qu’entre un tablier de toile et un tablier de cuir.


Sans doute est-ce par le tanin que le vin et le cuir se rejoignent.


Mais il y a entre eux des ressemblances d’une autre sorte, aussi profondes : l’écurie, la tannerie ne sont pas loin de la cave.


Ce n’est pas tout à fait de sous terre qu’on tire le vin, mais c’est quand même du sous-sol : de la cave, façon de grotte.

C’est un produit de la patience humaine, patience sans grande activité, appliquée à une pulpe douceâtre, trouble, sans couleur franche et sans tonicité.


Par son inhumation et sa macération dans l’obscurité et l’humidité des caves ou grottes, du sous-sol, l’on obtient un liquide qui a toutes les qualités contraires : un véritable rubis sur l’ongle.


Et, à ce propos, je dirai quelque chose de ce genre d’industrie (de transformation) qui consiste à placer la matière au bon endroit, au bon contact… et à attendre.


Un vieillissement de tissus.

Le vin et le cuir sont à peu près du même âge.

Des adultes (déjà un peu sur le retour).



Ils sont tous deux du même genre : moyenne cuirasse.

Tous deux endorment les membres à peu près de la même façon. Façon lente. Par la même occasion, ils libè­rent l’âme (?). Il en faut une certaine épaisseur.


L’alcool et l’acier sont d’une autre trempe ; d’ailleurs incolores. Il en faut moins.



 

Le bras verse au fond de l’estomac une flaque froide, d’où s’élève aussitôt quelque chose comme un serviteur dont le rôle consisterait à fermer toutes les fenêtres, à faire la nuit dans la maison ; puis à allumer la lampe.


À enclore le maître avec son imagination.


La dernière porte claquée résonne indéfiniment et, dès lors, l’amateur de vin rouge marche à travers le monde comme dans une maison sonore, où les murs répondent harmonieusement à son pas, 
où les fers se tordent comme des tiges de liseron sous le souffle émané de lui, où tout applaudit, tout résonne d’applaudissement et de réponse à sa démarche, son geste et sa respiration.


L’approbation des choses qui s’y enlacent alourdit ses membres. Comme le pampre enlace un bâton, un ivrogne un réverbère, et réciproquement. Certainement, la crois­sance des plantes grimpantes participe d’une ivresse pareille.



 

Ce n’est pas grand’chose que le vin. Sa flamme pourtant danse en beaucoup de corps au milieu de la ville.


Danse plutôt qu’elle ne brille. Fait danser plus qu’elle ne brûle ou consume.


Transforme les corps articulés, plus ou moins en gui­gnols, pantins, marionnettes.


Irrigue chaleureusement les membres, animant en par­ticulier la langue.

 

Comme de toutes choses, il y a un secret du vin ; mais c’est un secret qu’il ne garde pas. On peut le lui faire dire : il suffit de l’aimer, de le boire, de le placer à l’inté­rieur de soi-même. Alors il parle.

En toute confiance, il parle.

Tandis que l’eau garde mieux son secret ; du moins est-il beaucoup plus difficile à déceler, à saisir. »

 



In, « Pièces », 1961, un très grand millésime