La Romanée fut le vin du grand siècle

La Romanée fut le vin du grand siècle. Le vignoble date, comme son nom l’indique, de la conquête romaine ; une partie en fut cédée à la maison de Conti qui en fit du cas. A la suite d’une maladie que subit Louis XIV, Fagon, son médecin, lui prescrivit la Romanée. C’était la Romanée Saint-Vivant et non pas la Romanée-Conti, comme on l’a cru. Louis XIV, qui détestait le prince de Conti, n’eût pas volontiers adopté un vin qui portait son nom.

Comment le médecin du grand Roi fut-il amené à conseiller ce vin ? C’est ce qui est expliqué dans l’Histoire de Vergy, de Charles Theuriet, par l’anecdote que voici, empruntée aux mémoires de Fagon :

Le prieur du couvent de l’abbaye Saint-Vivant, qui avait appris la maladie du roi, députa vers Paris et Versailles un de ses religieux muni des recommandations de Salins, médecin de Beaune, ami et admirateur de Fagon. Ce moine était un bon bourguignon, madré comme un bourguignon et fin comme un homme d’église. Il se présenta à Fagon avec sa mine joviale et ouverte, toute fleurie des essences bourguignonnes et qui faisait plaisir à voir. Il remit la lettre de Salins à son destinataire. Fagon le reçut avec force gracieuseté.

Et le bon père, qui en aurait remontré aux voyageurs de commerce d’aujourd’hui, d’entamer bientôt l’éloge du vin de son couvent :
– Mon révérendissime père supérieur m’a envoyé pour vous dire que si notre bon roi faisait usage de la Romanée-Salnt-Vivant sa précieuse santé s’en trouverait fort améliorée. Notre vin a non seulement le pouvoir de fortifier l’estomac, comme chacun sait, mais encore d’égayer l’esprit ; il donne la gaieté, la force, le…
– Comme vous y allez ! Mon révérend, interrompit Fagon en riant, on dirait que dans une bouteille de votre vin se trouvent toutes les vertus humaines.
– Sans compter les vertus divines, répliqua le moine avec onction.
– Etes-vous convaincu de tout cela ? dit Fagon, pris par l’air paterne de son interlocuteur.

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– Je suis convaincu, dit le moine, que si le roi se mettait à boire nos vins, il se rétablirait promptement et n’en voudrait plus boire d’autres.

La lettre du médecin de Beaune acheva de convaincre le médecin du roi. « J’espère, lui disait Salins, que vous prendrez en considération les raisons que je vous ai données au sujet du vin de Bourgogne. Permettez que je vous cite l’opinion d’un sage qui donnera du poids à la mienne. Ce sage, c’est Erasme, que notre vin a guéri et qui, dans un transport de sa reconnaissance, écrivait ces phrases mémorables : « Heureuse la Bourgogne, elle peut bien s’appeler la mère des hommes, puisqu’elle porte un pareil lait. Je ne m’étonne plus maintenant si jadis on plaçait parmi les dieux celui dont le génie avait inventé quelque chose d’utile ; celui qui, le premier, nous enseigna l’art de faire le vin ne doit-il point passer plutôt pour nous avoir gratifié d’une liqueur divine. » Ecoutez Erasme, ce père de la sagesse. »

Fagon écouta Erasme et Salins, et le roi adopta la Romanée-Saint-Vivant qui lui plût ; il continua d’user par la suite, d’un remède aussi agréable. Les princes de Conti offraient de leur Romanée à tous ceux à qui ils voulaient du bien. Monseigneur de Juigné, archevêque de Paris, écrivait à l’un d’eux, à la suite d’un envoi de Romanée : « C’est par cette magnificence que nous avons été heureux pour faire connaissance avec ce précieux vin qui était tout à la fois du velours et du satin en bouteilles. »


Velours et satin en bouteilles ! n’est-ce pas charmant ? Voilà bien une image digne d’un grand vin et d’un grand prélat à la fois.

 

Source

Le Gotha des vins de France, Maurice des Ombiaux, Payot, 1925