Le gigot « à la sept heures »

Un joli menu que l’on doit à La Reynière, qui place cette recette dans son panthéon personnel (télécharger l’article original, dans l’ouvrage « 100 Merveilles de la cuisine française » paru en 1971).

 

Menu

Huîtres plates

Gigot « à la sept heures »

Salade de pissenlit au lard

Granité à la liqueur

 

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« Le gigot est, avant tout, un symbole : celui de la famille, de la gentillesse et de l’appétit bourgeois. Mettons-nous à sa place un instant. Que voyons-nous autour de nous ? Les têtes souriantes du cercle de famille qui, s’il n’applaudit à grands cris, tressaille d’allégresse et affûte ses dents. Ponchon l’a rimé :

Quand le gigot parait, au milieu de la table…

L’on se sent beaucoup mieux, un charme vous pénètre

Tout un chacun voyant son appétit renaître

Aiguise ses chicots…

 

Il va mourir mais sur son lit mortuaire ce ne sont pas des héritiers faussement éplorés qui l’entourent.

 

Fleurant l’ail et couché sur un lit respectable

De joyeux haricots…

 

Il s’adresse à tous et à chacun, débonnaire, consciencieux, serviable, car

 

Le propre d’un gigot, cuit, selon le principe

Est bien de satisfaire au goût de chaque type…

 

Pour un peu, et comme le melon de Bernardin de Saint-Pierre créé pour être dégusté en famille et en tranches, on écrirait que le gigot a été conçu pour la table de fête. On le supporte mal au restaurant, tranché par un chef en portions solitaires.

Il est un détail­ – le plus – important d’un repas d’estampe ; un sujet pour nature morte au demeurant singulièrement vivante.

 

Votre chair est savante. En la verte prairie,

Vous ne deviez brouter que des fleurs, je parie…

Gigots d’agneaux, argile idéale et rosée…

 

Le cher Ponchon, emporté par l’enthousiasme, veut-il nous faire croire que ce sont les gigots qui broutent plutôt que les moutons? Mais l’image est belle d’une cuisinière ressemblant à quelque Deshoulières et menant paître aux vallées de pré-salé une cohorte de gigots dodus, badins et joueurs. Doux aussi, car

 

… Ainsi que l’a dit un docteur en Sorbonne

Vit-on jamais gigot faire mal à personne ?

Il se mange sans faim…

 

Cela dit, il me plaît de trouver dans son étymologie un augmentatif de gigue, mot qui lui-même est le substantif verbal de giguer qui signifie gambader et d’où est né le terme gigolette.

Sa simplicité bourgeoise en prend une teinte plus familière encore, quelque peu bohème. Il passe ainsi de la table de famille à celle des couples en goguette, sous la tonnelle : on a bon appétit à vingt ans et l’amour se nourrit mieux de gigot saignant que de pigeonneaux frêles. Un poète du siècle dernier le laissait pressentir :

 

Gigot, recevez mon hommage

Souvent j’ai dédaigné pour vous

Chez la baronne ou la marquise

La poularde la plus exquise…

 

Mais ne dédaignait-il pas, autant, la marquise, au profit de la gigolette affamée de nourritures solides, de rires et de baisers ?

Car en somme le gigot a ceci de bien à lui qu’il est partout à sa place (et tel gigot en croûte à la façon de Thuilier, le maître des Baux, honore un repas d’apparat) et jusque dans l’assiette anglaise des mornes minuits de brasserie, quand la chair est triste et que toutes les ivresses sont bues. Partout à sa place, sans doute, mais à travers l’idée-force que l’on s’en fait : sa pérennité familiale, sa solidité bourgeoise. Et, quelquefois se régaler d’un gigot d’occasion ou d’inadvertance, c’est aussi regretter d’avoir quitté la voie droite où règne le vrai gigot, le gigot du foyer, lorsque…

 

…une servante brave

Vient d’entrer, dans ses bras portant, robuste et grave,

Ce fardeau précieux.

 

Aimer le gigot frotté d’ail, rôti à point, à la française, n’est pas forcément dédaigner le gigot bouilli sauce menthe des beaux dimanches anglais, comme disait Kipling. Non plus ce gigot à la sept heures qu’inventa peut-être Alexandre Dumas, dont il raffolait en tout cas, et qui se mange à la cuillère, comme le lièvre à la royale et certaines daubes provençales.

 

La recette du gigot « à la sept heures »

 

1 gigot

100 g de jambon maigre

100 g de lard gras

150 g de couennes

sel, poivre, laurier, ail

2 gros oignons

3 verres d’eau

2 verres de vin blanc

 

Tailler le lard gras et le jambon en languettes. En piquer le gigot. Le piquer également de caïeux d’ail. Garnir le fond d’une marmite on terre de couennes de lard. Y ajouter les oignons en rouelles. Poser le gigot par-dessus, saler et poivrer, ajouter une feuille de laurier et mouiller de l’eau et d’un verre de vin blanc. Couvrir la marmite d’une assiette creuse. Coller celle-ci aux bords de la marmite avec du papier ou une pâte faite de farine et d’eau. Mettre dans l’assiette l’autre verre de vin blanc et cuire, à petit feu, sept heures. Si le vin de l’assiette s’est totalement évaporé, le remplacer. »

 

Servir avec un vin de Cahors, idéalement « Les Laquets » ou mieux encore « La Marguerite » de Cosse & Maisonneuve.