par Henry Broncan, directeur rugby du Sporting Union Agen
« La femme et le rugby ? Longtemps – encore ? – Le rugby fut – est ? – le symbole de la pratique sportive virile par excellence tout comme il fut le symbole du pouvoir blanc en Afrique du Sud. Ce rapprochement peut paraître choquant : est-il vraiment inexact ?
Comme beaucoup de joueurs de ma génération, j’ai trouvé normal que ma grand-mère puis… ma mère puis… ma première femme… puis ma seconde femme – un peu plus difficile avec elle – préparent mon sac d’entraînement puis de match et soient les responsables du nettoyage des crampons, chaussettes, shorts, maillots, survêts, K-way, etc. 3 à 4 fois par semaine… J’ai même vu, récemment, des épouses, après les matchs, porter les sacs de leurs champions afin que ces derniers puissent se rendre aux joies de la troisième mi-temps sans bagages superflus et sans… elles ! Par contre, quand le héros réputé invulnérable se blessait physiquement ou mentalement, qui le soignait ? Qui le consolait ?
En 2000, aux Éditions de la Maison des sciences de l’homme de Paris, Anne Saouter, docteur en anthropologie sociale et ethnologie, a écrit un ouvrage remarquable, Être rugby : jeu du masculin et du féminin. Quant au jeu pratiqué par les femmes, nous l’avons considéré comme une pâle et lointaine copie de « notre » sport, une pratique amusante à regarder, sourire en coin et ironie futile.
Les temps ont changé et les (anciens) machos battent leur coulpe. Elles ont d’abord investi le cadre des dirigeants, comblant les vides laissés par les lassés du bénévolat.
Les voilà secrétaires, trésorières et même présidentes : dans mon Gers, deux clubs, Bassoues – son donjon – et Panjas – son Armagnac – ont le bonheur, à la satisfaction générale, d’être dirigés par deux d’entre elles.
Puis, c’est au niveau de l’encadrement sportif qu’on les a découvertes, principalement dans l’encadrement des écoles de rugby (encore mamans ?). La meilleure éducatrice du FC Auch est une femme qui pourrait, sans problème, conduire des seniors. C’est chez ceux-ci qu’elles ont du mal à être admises mais ça viendra très vite. D’autres sont devenues journalistes ès-sciences rugbystiques (exemple : Judith Soula, Pascale Lagorce).
Leurs compétences sont reconnues. Alors que les hommes s’embrouillent et se noient dans des expertises physico-technico-tactiques, les femmes comprennent très vite la dimension mentale, essentielle dans ce sport. Elles pigent plus vite que nous les relations des joueurs entre eux, leurs excès ou leurs manques de confiance, l’individualisme de certains, etc. J’ai souvent besoin de leurs yeux neufs pour améliorer mes yeux fatigués !
De plus, le rugby féminin a considérablement progressé : tandis que chez les hommes, les « petites » séries cherchent à copier le haut niveau sans tenir compte des lacunes physiques et techniques, il y a maintenant un rugby de haut niveau, chez les femmes, propre à leurs qualités et le spectacle suit et nous sommes admiratifs !
Il y a quinze jours, invité à un tournoi de rugby à 7 à Buzet-sur-Baïse, j’ai découvert une jeune demi d’ouverture plaquant à la perfection, jouant au pied par-dessus le rideau, attaquant la ligne… je l’ai désignée « meilleure joueuse » du tournoi et il n’y avait aucune galanterie dans mon choix ! »
Article paru dans le journal L’Humanité
le 6 septembre 2007