« Quand j’étais tout petit, je jouais, puis j’avais faim. Ma mère taillait alors une plate tartine de pain. Elle la saupoudrait de sel, elle l’arrosait d’huile d’olive par un large 8 de la burette penchée : elle me disait : « Mange. » Ce sel, il me suffisait de humer le vent odysséen ; il était là, avec l’odeur de la mer ; ce pain, cette huile, les voilà autour de ces champs de blé vert dessous les oliviers. Ainsi s’est déguisée de longue habitude l’ardente faim de mon cœur. » Jean Giono, Manosque-des-Plateaux
Chaque année, au début du mois de décembre, des jarres de la première huile, en provenance de chaque moulin de la Vallée des Baux, convergent vers Mouriès pour le traditionnel baptême… À partir de ce jour, tous ses habitants et bien des gourmets cherchent les premières gouttes de ce divin nectar.
L’huile nouvelle est le terme utilisé pour désigner la première production d’une nouvelle campagne. Contrairement à une huile “primeur” qui serait une huile produite avant les autres avec une variété très précoce par exemple, l’huile nouvelle est une huile qui ne se distingue de l’huile “normale” que par ses caractères de jeunesse. Ainsi, l’huile nouvelle est autant un événement qu’un produit spécifique. L’huile nouvelle “incarne” le moment où l’on découvre la nouvelle campagne, où l’on se met une nouvelle fois dans l’ambiance joyeuse du moulin et dans la récolte des olives.
En tant que produit spécifique, il s’agit de l’huile fraîchement extraite des olives, qui exhale des arômes éphémères que l’on ne trouve plus après le début de saison, lorsque les huiles ont quelques semaines de cuve. Dans les fruités verts et les fruités mûrs de la Vallée des Baux, ces arômes éphémères sont des arômes très végétaux, qui rappellent la feuille d’olivier ou le poivre vert. C’est “l’aspect végétal intense” propre à toutes les huiles jeunes, et qui disparaît rapidement. Cela peut être accompagné d’une sensation d’ardence en bouche, que l’on peut pressentir par un léger picotement au nez. Il s’agit essentiellement de sensations qui évoquent la fraîcheur. Dans les fruités noirs, on trouve des arômes qui évoquent la vanille ou la truffe, et parfois aussi une très légère ardence. Ces caractères disparaîtront lors de la décantation de l’huile.
L’huile d’olive nouvelle est une gourmandise éphémère. C’est une des raisons qui nous pousse à l’adorer. Chez nous, chacun la déguste à sa façon. A cru, accompagné de fleur de sel, sur un bon pain à croûte épaisse, avec un coeur de petit artichaut violet, un coeur de laitue bien pommée… ou tout simplement comme base d’assaisonnement d’une salade frisée avec un oeuf mollet. Et puis il y a, bien sûr, la magie de l’aïoli à l’huile nouvelle, avec la morue, les escargots, les carottes cuites à l’étuvée, les pommes de terre en robe des champs, l’oeuf dur… Et pour les plus laborieux, la purée de pommes de terre à l’huile nouvelle, un poisson de Méditerranée tout juste grillé et parfumé d’huile nouvelle, l’anchoïade d’hiver, la première tapenade, la salade d’oranges au miel, le sorbet à l’huile nouvelle… Avec un tel nectar, on peut tout imaginer !
Ce sont les aliments “tièdes” qui valorisent le mieux les caractéristiques des huiles nouvelles. Traditionnellement, on mange la fougasse dans les moulins, mais les légumes secs valorisent très bien les arômes de fraîcheur : lentilles et pois chiches. Mais si l’on veut vraiment “analyser” les caractéristiques de la nouvelle campagne, ce sont de simples pâtes (100 % blé dur), avec un peu de fleur de sel, qui donneront le meilleur résultat.