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Italie : le boulanger a la peau de McDo

A Altamura, un artisan a contraint la multinationale à la fermeture, grâce à ses produits de qualité.

Par Eric Jozsef, mardi 3 janvier 2006

Altamura (Pouilles) envoyé spécial

Le long mât rouge a été démonté secrètement, durant la nuit. L’énorme « M » jaune qui, à son extrémité, dominait piazza Zanardelli, l’une des places centrales de la ville, a été remballé tout aussi subrepticement. A quelques mètres de là, les vitres du McDonald’s avaient été couvertes un peu plus tôt de bâches en plastique, comme un linceul sur une victime du champ de bataille alimentaire : il n’y a plus aujourd’hui de Big Mac, de Chicken McNuggets ni de frites industrielles à Altamura. Dans cette petite ville des Pouilles située dans le sud-est de l’Italie, à une quarantaine de kilomètres de Bari, McDonald’s a préféré plier bagage. De nombreux mois ont passé depuis cette retraite en rase campagne de la grande multinationale américaine, mais Onofrio Pepe en rit encore : « Avec son mât comme totem, McDonald’s pensait nous assiéger ! Mais c’est nous qui les avons encerclés et bombardés à coups de saucisses, de fouaces et de pain local. Nous sommes parvenus à les repousser. » Avec son compère médecin Peppino Colamonico, cet ancien journaliste est à la tête d’une association de défense de l’art culinaire et des produits locaux baptisée les Amis du cardoncello, un savoureux champignon du sud de l’Italie autrefois banni, durant les jubilés chrétiens, car les papes craignaient que ses vertus supposées aphrodisiaques ne détournent les pèlerins, accourus à Rome, de leur chemin spirituel.

Au début, les ados s’agglutinent chez McDo

« Lorsque McDonald’s, avec ses produits à bas prix, s’est installé en 2001 à Altamura, nous avons craint le pire, explique-t-il. Nous avions peur que notre patient travail pour défendre nos traditions alimentaires, dans les écoles ou à l’occasion de fêtes gastronomiques, ne soit balayé. » Le colosse de la restauration rapide débarque alors en force, en plein centre d’Altamura, pour séduire les 65 000 habitants du gros bourg, mais aussi drainer les jeunes de Matera, Gravina et Santeramo, les communes voisines : 550 m2 de surface à proximité du grand collège de la ville et d’agences bancaires, vingt employés, des promotions à gogo et le long mât dressé comme un étendard, illuminé jusque tard dans la nuit… le fast-food démarre en trombe. Dans ce coin du Mezzogiorno enclavé et fortement marqué par le passage, au XIIIe siècle, de l’empereur germanique Frédéric II Hohenstaufen, le nouveau conquérant déploie ses armes au ketchup et à la moutarde sucrée. Au début, la curiosité pour ce symbole de la culture consumériste américaine fonctionne. Les adolescents s’agglutinent aux abords du McDo. Et les vieux du pays, en proie aux chaleurs estivales, viennent goûter à l’air conditionné des salles de repas. « Moi aussi, je voyais l’arrivée de McDonald’s comme une espèce de modernité, admet l’ancien député-maire communiste Fabio Perimei, comme une manière d’insérer Altamura dans un monde et une Europe globalisés. » « Nous n’osions pas réagir, notamment par crainte de mettre en péril les vingt emplois créés par McDonald’s », confie Onofrio Pepe, qui ajoute, tout sourire : « Mais nous avions un cheval de Troie ! » A Altamura, Ulysse s’appelle Luca Digesù. Héritier d’une antique famille de boulangers locaux, celui-ci décide d’installer à proximité du fast-food un petit commerce de produits locaux de qualité : des pizzas, de délicieuses pâtisseries, des biscuits, du pain au blé dur, des sortes de quiches des Pouilles et des fouaces à l’oignon, à l’olive ou au cardoncello. « C’était un pari », explique le jeune boulanger. « Au départ, j’espérais pouvoir bénéficier de l’attrait de McDonald’s pour me constituer une petite clientèle. Mais je craignais aussi de me casser les os. Je ne cherchais pas à mener une guerre contre McDonald’s », poursuit Digesù, pour qui la chaîne de fast-food reste une « institution mondiale », « mais, de facto, ce fut un combat de l’alimentation industrielle contre la nourriture traditionnelle ». Le jeune boulanger aligne le prix de ses pizzas sur celui du hamburger, multiplie les compositions de fouaces et insiste sur la qualité et la diversité. Au bout de quelques semaines, le courant s’inverse. Les jeunes commencent à délaisser les caisses du McDonald’s pour les saveurs antiques. La multinationale réagit, multiplie les offres promotionnelles, les fêtes d’anniversaire pour les enfants, change de directeur… Rien n’y fait. Certains clients vont même jusqu’à s’approvisionner dans la petite boutique de Digesù, puis vont s’asseoir pour consommer ses produits au fast-food, à côté. Par manque de rentabilité, le McDonald’s a fini par fermer.

Gâteaux aux extraits de figue, amande et cacao

Alors que dans l’ancien quartier grec d’Altamura le boulanger de Vito Macella se prépare à enfourner un plateau de mustaciolli (des petits gâteaux aux extraits de figue, d’amande, d’agrume et de cacao) dans l’énorme four à bois de 50 m2 datant de 1423, Nicola, venu chercher une grosse miche de pain, balaie toute nostalgie pour McDo : « A Milan, où je réside habituellement, je suis allé de temps en temps au fast-food, mais pas à Altamura ! s’exclame le jeune homme. Ici, je ne veux que de bons produits, de la fouace, du pain, de la saucisse. » Devant le collège Mercadante, à deux pas de l’ancien McDo transformé, depuis, en agence bancaire, les adolescents confessent un certain regret. «C’est dommage qu’ils aient fermé», indiquent ainsi Alice et Barbara, deux jeunes filles brunes de 17 ans, mais, ajoutent-elles : « On aimait bien leurs glaces, pas leurs hamburgers. »

« C’est l’attachement à la tradition culinaire et aux bons produits qui l’a emporté, résume Onofrio Pepe. La morale de cette histoire, c’est qu’il n’est pas nécessaire de réagir comme José Bové. Démonter un McDo, se replier sur son territoire face à la globalisation est une attitude réactionnaire. Nous avons gagné sur le terrain de la concurrence alimentaire. » « J’ai compris qu’il faut provoquer la confrontation. Dans ces conditions, le produit local peut l’emporter sur le global », considère, pour sa part, Fabio Perimei, qui insiste sur l’importance de transmettre dans les familles les traditions agroalimentaires. Chez McDonald’s, on préfère aujourd’hui éviter d’évoquer la faillite d’Altamura. Luca Digesù, lui, cherche désormais un local pour s’implanter à Rome et y exporter ses spécialités.


Source

http://www.liberation.fr/

L’artichaut, premiers pas

Je suis une fleur comestible irésistible.
On aime surtout mon arrière train,
que l’on consomme avec entrain.

Cynara scolymus de la famille des Composées.

Je suis… l’artichaut !

La légende raconte que Jupiter tomba amoureux fou de la superbe Cynara, qui le repoussa vigoureusement. Pour la châtier, il la transforma en artichaut. L’amour, l’amer et le piquant… son destin était né.

Né il y a des milliers d’années au cœur du bassin méditerranéen, l’origine exacte de l’artichaut reste trouble. Selon certains, il serait né en Éthiopie. Pour d’autres, plus nombreux, il serait originaire de Sicile. Et on sait aussi que l’Égypte antique le cultivait déjà…

En tous cas, il a définitivement l’esprit du sud. Sa tendresse et sa fermeté, son amertume et son sucré… Ce cousin du chardon a ensuite été importé par les Grecs et les Romains. Très prisé à Rome, réputé aphrodisiaque, il aidait aussi à la digestion.

Dès qu’il fut repéré comme plante comestible, les jardiniers s’employèrent à le cultiver. L’artichaut est ainsi né d’une variété de cardon considérablement améliorée. Merci aux jardiniers. Merci de leur patience. Et en particulier aux Italiens qui, à la Renaissance, ont développé et amélioré sa culture. Et merci aussi à Catherine de Médicis et à sa gourmandise. Grâce à elle, il fut rendu populaire. Elle raffolait des coeurs d’artichauts, et dès l’âge de 14 ans, faisait la nique aux médecins de la cour qui interdisaient de consommer cet aphrodisiaque qui pouvait tuer l’esprit. Victime potentielle des coeurs d’artichauts, il n’était alors pas convenable pour une jeune fille d’en consommer…

Fille de la Méditerranée, on la cultive en France dans toute la Bretagne, en Gironde, en Provence, et dans le Roussillon, mais aussi en Californie.

Elle a de grandes feuilles semblables à celles du chardon, de couleur gris vert, dentelées, velues et blanchâtres sur leur face intérieure. Mais ce que l’on consomme, c’est en fait le capitule terminal de la plante : la tête d’artichaut, récoltée avant l’apparition des fleurs. La récolte est manuelle et s’échelonne avec la maturation. S’il n’est pas récolté à temps, l’artichaut produit une fleur bleue superbe. Dans les jardins, la première année, la récolte se fait de fin août jusqu’en septembre. Les années suivantes, elle se fait de mai à juillet puis en septembre-octobre.

Les variétés nous font voyager… le camus de bretagne, le crysanthème, le petit violet de provence (que l’on surnomme aussi “bouquet” ou “poivrade” et qui est arrivé d’Italie dans les malles de Catherine de Médicis), l’épineux, le gros vert de Laon” ou “tête de chat”, le blanc hyérois, le perpétuel…

L’artichaut fait partie des légumes frais énergétiques. Riche en vitamines, en fibres et en oligo-éléments comme le potassium, le magnésium et le phosphore, il offre quelques spécificités…

• Il contient une grande quantité d’inuline que l’on trouve dans certains légumes de la famille des composées, comme les topinambours, les cardons et les salsifis
• Il est reconstituant car il contient du lévulose qui se transforme dans l’organisme en sucre particulièrement digeste
• Le principe amer contenu dans les feuilles de la plante, la cynaropicrine, le rend diurétique

Il est aussi Céphalique, Cholestérique, Diurétique et Hépatique. Bref, c’est un trésor de bienfaits, surtout pour le foie. A ce propos, n’hésitez pas à réaliser des décoctions et infusions de feuilles d’artichaut ! Mais attention, il faut utiliser les feuilles de la plante elle-même (et pas celles du capitule), car elles contiennent davantage de cynarine, qui stimule les sécrétions biliaires.

Mais ce n’est pas simplement parce qu’il a la propriété de soigner le foie du cuisinier que ce dernier l’adore. Selon la manière dont on l’accommode, l’artichaut peut, tour à tour, exprimer une dominante acidulée, amère ou sucrée. On pense avec émotion aux artichauts en barigoule, à la grecque ou braisés en papillote…

Pour le découvrir, faites une chose simple… Achetez de beaux petits artichauts violets. Choisissez les bien. Ils doivent être compacts, charnus, lourds dans la main, avec une tige bien ferme et les extrémités souples. Les feuilles doivent casser net et laisser perler un peu de sève. Elles ne doivent être ni tâchées, ni meurtries, mais bien serrées et d’un beau vert. Méfiez vous des artichauts trop mûrs, chargés en foin, ou tachées de noir. Cela signifie qu’il ont perdu leur fraîcheur.

Coupez les tiges à environ 8 cm. Enlevez les premières feuilles. Lavez les à l’eau froide, directement sous la pompe. Egouttez les sérieusement

Et présentez ces jolies fleurs en début de repas, dans un beau saladier. Chacun son petit bol pour concocter sa sauce. Une goutte de vinaigre balsamique, du sel, du poivre et une excellente huile d’olive vierge extra. Plutôt un fruité vert et pourquoi pas une monovariétale picholine. Et du citron.

Et puis viendra le rituel de la préparation de l’artichaut, que l’on mange avec les doigts. Il faudra le tourner, Enlever chaque feuille et tremper la partie charnue dans la sauce que l’on extirpe avec les dents. Quand vous vous rapprocherez du coeur, vous cesserez de prélever des feuilles. A l’aide d’une fine lame, vous éplucherez la queue en remontant vers le cœur. Vous couperez le bout des bractées. S’il y en a, vous retirez le foin en glissant la pointe du couteau vers le centre et en décrivant un cercle pour pouvoir l’enlever en une seule fois. Il restera a couper le coeur en fines lamelles, les mélanger à la sauce, et fermer les yeux…

Vive les artichauts !