Le comte plongea la main et fit tourner les bouteilles dans le seau luisant.
– Ce n’est pas encore froid. Vous ne pensez qu’à boire, ma chère. Pourquoi ne vous bornez-vous pas à parler ?
– Je n’ai que trop parlé. J’ai dit tout ce que j’avais à dire à Jake.
– J’aimerais vous entendre parler pour de vrai, ma chère. Quand vous me parlez, vous ne finissez jamais vos phrases.
– Je vous laisse le soin de les finir. Il faut toujours laisser les gens finir les phrases à leur gré.
– C’est un système très intéressant (le comte se pencha et fit tourner les bouteilles), pourtant j’aimerais bien vous entendre parler un jour.
– Comme il est stupide, dit Brett.
– Ah (le comte sortit une bouteille), je crois que c’est assez froid.
J’allai chercher une serviette, et il essuya la bouteille et la tint en l’air.
– J’aime boire le champagne des magnums. Le vin est meilleur, mais ç’aurait été trop difficile à rafraîchir.
Il tenait la bouteille et la regardait. Je sortis les verres.
– Alors, vous pourriez peut-être la déboucher, suggéra Brett.
– Oui, ma chère, je vais la déboucher.
C’était un champagne étonnant.
– Ca, par exemple, c’est du vin. (Brett leva son verre.) Si on buvait à quelques chose. “A la royauté !”
– Ce vin est trop bon pour les toasts, ma chère. Il ne faut pas mêler les émotions avec un vin comme ça. On perd le goût.
Le soleil se lève aussi, Ernest Hemingway, 1926.
Merci à Jamy d’avoir trouvé ces bons mots…